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15 juillet 2012 7 15 /07 /juillet /2012 07:06

La Mer au Boulot

La mer ressemble à ton amour Elle veut sentir qu’on la désire Elle s’avance puis se retire.  

Yves Duteil

 

La mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans. Renaud Séchan

 

Ô que ma quille éclate, Ô que j’aille à la mer!

Arthur Rimbaud

 

Samuel s’affala sur une chaise en plastique loin de la machine à café. Il avait passé une mauvaise nuit et ne se sentait pas d’attaque pour endurer les passes d’armes que déployait l’esprit français pendant la pause. Il travaillait dans une entreprise de prestations de services et avait du travailler tard pour avancer de façon minime sur un dossier qui semblait ficelé à son plan de carrière. Il fit mine de s’abîmer dans la contemplation d’un journal syndical pour faire fuir les importuns: rien n’éloignait plus un cadre dans une société de service que le voisinage d’un tract politique ou d’un bulletin syndical; les deux espèces pouvaient cohabiter dans le même biotope qu’à la condition expresse de respecter des distances de sécurité drastiques. “Le cadre d’entreprise est décidément une espèce bien fragile et bien craintive” songea Samuel, brusquement las. Il se concentra sur son opuscule. il ne le lût pas et se contenta de le fixer luttant pour garder les yeux ouverts. Deux jolies secrétaires de direction, continuant à dévider le fil de leur conversation, passèrent devant lui en le saluant d’un petit hochement de leur frais minois. Il leur répondit par un bref hochement d’une tête que nul n’aurait eu l’idée de qualifier de frais minois. Sans plus essayer de lire, il s’absorba sans vergogne dans l’écoute du dialogue tenu par les jeunes femmes. - Oh, moi, il a fait beau, c’était cool. -T’as fait quoi de ton séjour? -Après l’année que j’ai passé, je suis venue sur la plage uniquement pour bronzer, avec un livre… Tranquille… -T’as lu quoi? - Je sais même plus mais bon, quand tu bronzes avec un livre, est-ce-que tu le lis? Je crois que je ne l’avais emmené que parce-que la couverture était assortie avec mon maillot. Puis elles éclatèrent d’un rire que, la fatigue aidant, Samuel renonça à qualifier autrement que cristallin. À la typographie vindicative du bulletin syndical succéda dans son cerveau harassé, une douce vision: celle de la jeune fille offerte au soleil sur une natte de plage. Il composa artisanalement une image mentale comprenant le joli visage de la secrétaire qu’il connaissait un peu pour l’avoir distraitement admiré avec un corps féminin protéiforme issu de la fréquentation assidue d’anciennes photos de Playboy ou de Lui, preuve revigorante que la mémoire de ses anciens émois restait vivace et pouvait l’inonder de souvenirs réconfortants. Il l’imaginait, les tempes trempées, le corps délicatement salé par l’océan et rôti par un soleil trop doux pour être honnête. Le maillot fin, forcément très fin, laisser deviner par transparence des rotondités qui enflammait son imagination débridée par l’insomnie. Un tintement de pièce, l’une après l’autre, les jeunes filles prirent le gobelet brûlant, le portèrent à leurs lèvres, esquissant une jolie moue voulant signifier que le café est soit trop chaud, soit immonde, un regard, un sourire, elles reprennent leur conversation, Samuel s’est endormi d’un sommeil solaire. “Une journée de beau temps, une seule, j’ai attrapé des coups de soleil qui m’ont fait souffrir le martyre. Je suis restée claquemurée dans la chambre de mon bungalow insalubre où je me suis emmerdé pire encore qu’avec mon ex. Dès que j’ai pu ressortir, il pleuvait tellement que j’ai préféré rentrer. En plus, moi qui espérait rentrer avec un beau mec, un surfer ou au moins un maître nageur, je suis juste rentrée avec une mycose vaginale: le sable et l’eau de mer.”

 

 

Lucas Hermse

 


 
     
      La voix d’un lieu 
Revue de l’atelier d’écriture de « Voisinlieu pour tous »
http://www.voisinlieupourtous.net
N°04 – Juin  2012
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