Où sont passés mes pendants d'oreille en onyx ? Bon sang, dîner avec le Préfet, et juste pile je perds les boucles de Mémé Marianne ! « Sigmund, dis-moi pourquoi ! » « Eh bien » répond-il « Tu veux bousiller ta soirée, c'est évident... La dernière fois que tu les as vues, c'était où et quand ? » « Ah ben oui, dimanche dernier, à l'heure de la messe: pendant que mon mari fait ses dévotions, je vois mon jeune amant... elles sont sans doute toujours sous l'oreiller, et tu serais trop content de savoir pourquoi ! A propos, mon jeune amant, c'est justement... le fils du Préfet, haha! » Mais laissons là Sigmund ! L'an dernier, dans une expo d'art surréaliste, je ne connaissais pas encore ce délicieux jeune homme. Nous étions tous deux à l'arrêt devant le même tableau, où un escalier tout mou montait au ciel, laissant s'envoler de sa plus haute marche un groupe de chapeaux melons. En bas, une plage à carreaux noirs et blancs, avec au premier plan un amas de bois flotté, suggérait une tristesse contredite par le joyeux envol des couvre-chefs moirés. Une silhouette de femme, toute menue, ponctuait le bord de mer. En y regardant de plus près, on remarquait sous la robe comme des griffes de renarde, et audessus du sage col Claudine un joli museau velu. En arrière- plan, un phare en forme de gâteau de mariage, dégoulinant de crème d'écume, titillait le spectateur iconoclaste, tandis que les deux époux en plastique plantés en son sommet rivalisaient de sottise compassée. « Viens », me dit l'inconnu qui contemplait avec moi cette oeuvre absconse, « on va rentrer dedans !». D'un même pied, nous franchissons gaiement le cadre. La plage nous avale, puis nous rend à nous-mêmes au bas du mol édifice. Le dernier chapeau,effrayé, s'envole. « Ils vont où, tu crois? » « Ben, ils passent l'hiver à Paris, sur les porte-manteaux des restaurants chics... » «C'est idiot, ils sont dans le courant d'air, avec la porte tambour qui tourne sans arrêt! » «Ils aiment ça, ça leur rappelle tous ces dessins où on les fait s'envoler de la tête du monsieur » Ce garçon hors du commun m'amusait décidément plus que mon triste sire de mari. J'eus envie d'aller au phare. Un, deux, trois, partez! On a couru là-bas, foncé dans la crème fouettée, la crème pâtissière, la crème crémeuse, on s'en est mis partout, puis on est montés arracher les deux figurines à la con, ça m'a fait du bien, mais du bien! Si je racontais tout ça à mon mari, il ne me croirait jamais! Je lui ai juste dit que j'avais perdu les boucles de Mémé Marianne dans un gâteau à la crème en haut duquel il était perché, en costume de pingouin. Maintenant, toute la semaine j'attends avec impatience l'orgasme du dimanche matin... Dominique Langlet |