La voix d’un lieu | |||
Revue de l’atelier d’écriture de « Voisinlieu pour tous » http://www.voisinlieupourtous.net |
|||
N°01 - Décembre 2011 |
|||
L’édito de Marc Méret | |||
A Mers-les-Bains quand Denis Dormoy m’a proposé de prendre en charge l’atelier d’écriture qu’il animait à Voisinlieu, je n’ai pas répondu immédiatement. Je
n’avais jamais réalisé ce genre d’animation bien qu’y ayant participé à plusieurs reprises en
tantqu’auteur invité.
|
|||
Entrefilet |
|||
Entre-axes, entrebâillement, entrecôte, entrejambe, entremets, entresol,
entre-temps… interlude, comme à la télé en noir et blanc, interligne, intervalle… la liste n’est pas close pour préciser l’entre-deux ! Pour mieux connaître un entre-axes, un pied à coulisse est parfois nécessaire mais totalement inutile pour l’entrecôte ou l’entresol.
Celle là se déguste à la bordelaise accompagnée d’un rouge bien charpenté de
préférence. Pour l’entremets, vous pourrez préférer un coteau du Layon ou un entre-deux mers.
|
|||
Automne |
|||
Les feuilles ne tombent pas encore Mais les arbres changent d’habits Le feuillage est multicolore Les glands tombent dans la forêt. A pied, Attention à ne pas déraper Sous les feuilles de noisetiers. Sous un fort soleil Je m’émerveille. Je me dis : « Tiens C’est l’été indien » Chantal Priolet |
|||
Chasseur |
|||
D’instinct, il se mit à courir en zigzag. La peur le poussait à sauter les sillons. Le jeu était inégal. Respectueux des techniques de battue, les ennemis s’étaient alignés au cordeau, pour le débusquer et lui barrer la route. Fuir lui fut fatal, le roncier qu’il tentait de rejoindre était hors de portée. Le coup partit du fusil le plus proche. Il eut les oreilles fracassées par le bruit avant de souffrir, le corps transpercé par les plombs. Quelques secondes pour que le clan des forts jubile, se congratule ; pour que le jagdterrier servile, sur l’appel de son maître, aille chercher
sa proie et la rapporte dans sa gueule, triomphant. dans les plaines fertiles qui faisaient sa richesse, sous le chaud soleil de septembre. Jeanne avait tout vu. Ses jumelles qu’elle prenait toujours quand qu’elle partait à cheval dans la campagne picarde lui avaient restitué chaque instant de cette mise à mort. Elle n’aurait voulu conserver de sa promenade que les verts paysages des vallons du Pays de Bray. Le regard embué, elle caressa le cou de sa jument qu’elle ramenait au haras et lui promit : « Je le vengerai ce pauvre lapin comme ses semblables. Le fils du maire a perdu toutes ses chances avec moi s’il reste chasseur !»
|
|||
En quête à Voisinlieu |
|||
Le train s’arrêta en gare de Beauvais. Une foule de passagers se
précipita vers la sortie. C’était pour la plupart des hommes et des femmes qui travaillaient à Paris. Ils faisaient le trajet deux fois par jour et cinq fois par semaine. C’est après eux que descendit un homme au teint gris et aux cheveux longs qui était vêtu d’une parka grise comme on en portait il y une vingtaine d’années. Au lieu de se hâter, il semblait soucieux de regarder tout ce qui l’entourait. Il s’arrêta même devant la gare et alluma une cigarette. Il tombait une petite pluie et l’homme mit le capuchon de son vêtement et dirigea ses pas vers la ville. Il passa devant le Kiosque, regarda le menu et haussa les épaules puis poursuivit son chemin vers le centre. Toutefois, au lieu d’aller tout droit vers la gare routière il prit à gauche, franchit le passage à niveau, passa dans la rue du Faubourg Saint-Jacques où il s’arrêta au tabac pour acheter des cigarettes et poursuivit son chemin vers Voisinlieu, un quartier qu’il connaissait bien. Son regard fut attiré par la croix verte clignotante de la pharmacie.
Il se souvenait qu’autrefois elle était dirigée par un potard qui
s’appelait Michel Simon, comme l’acteur. Il passa encore devant un café d’où sortait une musique tonitruante, évita une voiture devant l’église Saint Jacques, fut dépassé par un bus au
niveau de la poste et arriva au Café des Promeneurs. Il dépassa le café, pour voir s’il y avait du monde puis constatant la voie libre, entra et demanda au patron, s’il avait une chambre
libre. L’homme, un moustachu, avec une cigarette au coin de la bouche lui donna le prix, encaissa le billet, rendit la monnaie et appela une jeune fille pour qu’elle lui indique la
chambre. L’homme suivit la fille dans l’escalier, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas monté un escalier derrière une femme. La fille ouvrit la porte alluma la lumière et s’éloigna en
lui disant « Vous pouvez manger à partir de 7 heures. » Quand il referma la porte, il se rendit compte que pour la première fois depuis longtemps, c’était lui qui avait tourné la clé
derrière lui. Il avait du temps pour lui, il posa son petit sac, prit le cendrier publicitaire jaune, le mit sur le couvre pied vieux rose, arracha le papier transparent qui enveloppait
le paquet de cigarettes, se saisit d’une cigarette puis, se ravisant, reprit le cendrier, ouvrit la fenêtre et se mit à fumer à la fenêtre. Il était de retour. Il regarda le quartier de
son enfance, à gauche la boulangerie où il allait chercher le pain pour sa vieille mère et même des bonbons, avant d’aller en classe, plus loin à droite, le gymnase où il faisait de la
gymnastique à la Vaillante avec Jacquot. Derrière lui, il y avait l’école où il avait sué sur les problèmes de robinet, les trains qui se croisaient et l’accord du participe passé. Il
revoyait le visage de Mr. Liquette. Tout cela était si loin. Plus tard, il repasserait devant la maison où il habitait avec sa mère. Puis demain sans doute, il pousserait jusqu’au
cimetière sur la route de Paris. Jusqu’ici tout s’était déroulé comme il l’avait imaginé. Depuis six ans, il imaginait ce jour, il avait fait et refait le chemin dans sa tête et cela
l’avait aidé à survivre, à supporter une situation qu’il jugeait injuste.
à suivre |
|||
EXECUTION DE LOUIS XVI
TEMOIGNAGE D'UN BOURREAU |
|||
Aujourd'hui est un jour solennel. J'ai le triste privilège d'assister mon père Charles-Henri SANSON, exécuteur des hautes oeuvres de Paris, pour la décapitation du ci-devant roi Louis XVI qui vient d'être condamné par la Convention pour conspiration contre la sûreté de l'État. Je suis Henri SANSON, son fils. J'ai vingt six ans. Je l'assiste pour la première fois. Dans la famille, nous sommes bourreaux de père en fils depuis quatre générations. Les gens n'aiment pas les bourreaux, ils font peur, c'est pourquoi leurs épouses sont elles aussi filles de bourreaux. Mon père a bien essayé de s'intéresser à autre chose, il a tenté avec succès des études de physique mais le sort en a décidé autrement. En tant qu'aîné d'une fratrie de dix enfants, il fut tout désigné pour remplacer mon grand-père Charles- Jean-Baptiste, décédé prématurément. Nous sommes le 21 janvier de l'an 1793. Il est 6 heures du matin. La pluie persiste à battre sur Paris et a fait disparaître en partie la neige. J'avale une soupe brûlante et épaisse et je sors de mon logis discrètement pour me rendre à pied place de la Révolution. Je rencontre des patrouilles qui circulent lentement dans les rues. Dans tous les quartiers, on bat la générale. J'arrive sur la place ou déjà la foule se presse. Charles-Henri SANSON a pris la précaution de dépêcher suffisamment tôt les charpentiers pour dresser les bois de justice. Heureusement, la guillotine a été inaugurée l'an passé, le 25 avril 1792 exactement, lors de l'exécution d'un voleur de grand chemin : Nicolas Jacques PELLETIER, ce qui rendra moins barbare le supplice de Louis CAPET (auparavant, les nobles étaient décapités à la hache, les pauvres pendus ou roués vifs). L'échafaud, peint en rouge, se dresse à deux mètres de haut à l'entrée du jardin des Tuileries au milieu d'un espace vide entre les Champs Élysées et le socle de la statue déboulonnée de ci-devant Louis XV. Vingt mille gardes nationaux ont été mobilisés pour prévenir un éventuel coup de main royaliste et pour tenir le peuple au loin.
Yolande
Dheilly  suivre |
|||
EXECUTION DE LOUIS XVI
TEMOIGNAGE D'UN BOURREAU |
|||
Il est 10 heures. La pluie a cessé mais il règne un épais
brouillard. L'air reste très frais. Les tambours se mettent à battre. Je frissonne de froid, d'impatience et de dégoût. Le cortège arrive sur la place de la Révolution par la rue de la Révolution. Le souverain déchu descend du carrosse accompagné de son confesseur. Il s'avance vers l'échafaud, lève la tête et considère un instant l'instrument de son supplice. Il a les mains libres. Il s'avance pour parler mais les roulements de tambours l'en empêchent. Mon père l'accueille. Louis CAPET ôte sa redingote brune et son foulard cravate. Nous pensons qu'il faut lui lier les mains car, involontairement, il peut entraver son supplice et le rendre plus douloureux. Je lui dis alors : - Il est nécessaire de vous lier les mains.
Louis CAPET a un mouvement de répulsion :
Les tambours recouvrent à nouveau sa voix. La planche bascule,
positionnant Louis à plat ventre. Je ferme la lunette. Le couperet tombe. Il est 10 heures 22. Mon collègue LEGROS présente la tête de Louis CAPET au peuple en dansant autour le la
plateforme. La foule en délire crie : Yolande Dheilly |
|||
Loin d’Ibiza | |||
Campagne picarde
|
|||
|
|||
|
|||
L’édito de Lucas Hermse |
|||
Salut à vous, chers lectrices et lecteurs. Nous étions tous en salle de réunion à l’issue d’un brainstorming qui nous avait laissé exténués. Marc suçotait des tic-tac en songeant à
des cigarettes et Chantal des bâtons de réglisse en pensant à autre chose. Marc a lancé la bombe. Il m’a dit: “ C’est à toi d’écrire l’édito de ce numéro 2 de La Voix d’un Lieu”. J’ai senti la fierté m’envahir et la responsabilité peser sur mes épaules alors que la bûche de Noël me pesait sur l’estomac. Le numéro 2, c’est important. D’abord, ça démontre une certaine pérennité (que de publications se sont arrêtées après un seul et unique numéro), et puis c’est le numéro de la confirmation; être à la hauteur voire s’élever au dessus des sommets déjà atteints dès le premier numéro… La pression quoi. Je me suis donc documenté pour que l’édito soit à la hauteur. J’ai compulsé divers périodiques représentatifs de la pensée française et essayé de m’en inspirer pour ma rédaction. Je me suis fait pousser les cheveux, les ai teints en gris et les ai soigneusement peignés, ai enfilé un loden noir avec une écharpe crème, mis du tabac dans une pipe et ai déposé mon chat sur ma table de travail (avec ses croquettes sinon il se barre). Voilà, je suis prêt, mis en condition. Il ne me reste plus qu’à vous présenter nos voeux pour la nouvelle année. Nous vous souhaitons déjà d’arriver au bout, en pas trop mauvais état si possible et de pouvoir subvenir à vos besoins élémentaires. Nous vous souhaitons également d’avoir du temps pour jouer comme nous à noircir du papier avec notre jus de crâne. Ce n’est pas un loisir très onéreux (sauf si vous voulez avoir la même consommation de tic-tac que Marc, auquel cas, mieux vaut acheter l’usine) et ça fait un bien fou. Si ça vous tente, venez… Y’a une place de libre à côté de moi. |
|||
Un amour de chat : Conte de Noël |
|||
Avant - l’année dernière encore - Bertille aimait décembre. A 80 ans, elle s’émerveillait comme aux temps de son enfance bretonne des premiers flocons,
du doux soleil l’après-midi et des boutons de roses rescapés à l’abri de la grange. Maintenant que Julien était parti, le dernier mois de l’année lui était insupportable : trop doux pour la
saison, trop froid pour sortir dans les magasins, trop bruyant quand ses amis du Club la réclamaient, trop débile quand la télé s’invitait dans sa maison pour lui rappeler comment consommer
rituellement à cette époque, malgré sa solitude. Ah, quand il était encore près d’elle, même très souffrant, à Noël dernier, tout était possible. Bien sûr, elle était consciente que la trêve accordée par la maladie serait brève mais ils avaient vécu ce dernier 25 décembre tous les deux comme à leur habitude : dans la quiétude et l’affection. Elle pensa, avec une sorte de sourire heureux aux lèvres, qu’ils auraient dû s’endormir ensemble, ce jourlà, pour toujours. Le regard perdu sur la rocaille verdoyante, au fond du jardin, l’oreille bercée par Brassens – la seule musique qu’elle supportait - et sa « Brave Margot » elle se laissait gagner par les souvenirs de ce jour heureux quand son oeil fut attiré par une forme grise qui traversa la cour comme une flèche pour grimper lestement au grand conifère du jardin. Le gros chat angora gris était de retour. Il réapparut quelques secondes plus tard. Rien d’étonnant qu’il n’ait pas trouvé de moineau égaré, les corbeaux de faction au sommet du noyer du voisin montaient la garde depuis le matin. Il n’avait pas dû trouver les restes de ses maigres repas qu’elle laissait chaque jour à disposition des chats errants du quartier qui aimaient bien l’adresse. Toujours à la recherche de sa pitance, le matou explora le rebord de la fenêtre de l’atelier : elle l’avait déjà vu, de nuit se dresser sur ses pattes de derrière et s’agripper comme un fauve à cet endroit. De jour, c’était la première fois. Il avait des proportions et une force peu communes. Elle s’approcha de la vitre en pensant qu’elle aurait mieux fait de rester au fond de son fauteuil car le seul visiteur de la journée allait bientôt s’évanouir. Contre toute attente, le chat contourna alors la véranda et se planta devant la porte d’entrée. Il n’eut pas besoin de gratter, comme dans la chanson, Bertille ouvrit la porte et se pencha pour le caresser. Il fit le tour de ses deux pieds en se frottant contre ses jambes et leva vers elle ses magnifiques yeux bleus clairs. Dans le frigo, elle trouva les restes de son filet de lieu-purée du midi qu’elle lui coupa en morceaux. Une petite jatte d’eau fraîche compléta le festin que le chat avalait maintenant, comme chez lui, sans lever le nez. Elle n’osait pas parler. Le disque était terminé, la fin d’après-midi s’annonçait dans la pénombre. Elle se souvint alors de cette merveilleuse robe grise que sa grand’mère lui avait cousue pour Noël à ses sept ans, pendant la guerre. Elle décida de l’appeler « Velours ».
Chantal Gaultier |
|||
Rubrique : Faits divers Utilisateurs de trottinette : attention aux chiens |
|||
Jeudi 24 novembre, vers neuf heures, face au bureau de poste de l’avenue d’Iéna à Paris, alors qu’elle descendait vers les jardins du
Trocadéro en compagnie de sa maîtresse, Dauphine, un superbe dogue allemand femelle de trois ans, a été heurtée par un jeune homme à trottinette qui aurait voulu dépasser le couple au
moment où la chienne faisait un léger écart. Le jeune homme a roulé par terre. C’est alors que l’animal se sentant agressé l’a saisi au collet et l’a occis. La police a établi les
premières constatations et a saisi l’engin pour des investigations complémentaires. Compte tenu des accessoires trouvés dans le sac du jeune homme, il est permis de penser qu’il se
rendait sur un court près de la porte d’Auteuil. Etait-il en retard ? Ceci pourrait expliquer la vitesse à laquelle il descendait l’avenue d’Iéna. Les services d’urgence de la clinique
canine de la rue de Passy appelés sur place ont diagnostiqué une légère contusion des muscles de la patte arrière gauche mais recommande un suivi particulier de l’animal pendant quelques
mois pour prévenir une éventuelle modification du caractère normalement paisible de l’animal qui a certainement été traumatisé par ce regrettable incident.
|
|||
|
|||
|
|||
|
|||
|
|||
|
|||
|
La voix d’un lieu |
Revue de l’atelier d’écriture de « Voisinlieu pour tous » http://www.voisinlieupourtous.net |
N°01 - Décembre 2011 |