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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 08:50
Ç’était demain 
  

  Le bâtiment est toujours là, paré de ses portes monumentales, tel que je l’avais connu. A deux pas du centre-ville, la bâtisse du XVIIe se dresse fièrement. Deux étages, pas plus. Une façade flanquée de six fenêtres de près de deux mètres. L’élégance, la sobriété calculée, le luxe d’un hôtel particulier. Au numéro 11 de la rue Paillot de Montabert.  Du bon côté. De l’autre, ils ont effacé l’ancien fief des prostituées. Dans ces ruelles étroites de la vieille ville de Troyes, il y a trente ans de cela, les filles se faisaient face, en vitrine, comme dans les capitales du Nord. Maintenant, tout est propre, aseptisé. Les mêmes enseignes dans toutes les villes. Points de repère pour ceux qui ont peur de l’Inconnu, elles ponctuent les quartiers autrefois malfamés et crasseux.

  J’aime pénétrer sous le porche par la petite porte inscrite entre ces deux mastodontes de chêne grisé. Sur les pavés, meulés par les roues cerclées de fer des calèches, on peut encore entendre résonner le pas des chevaux. La cour carrée est à l’abandon. Au centre, le massif n’abrite plus les fleurs odorantes et chatoyantes qui regardaient passer les cieux changeants de Champagne, s’amusaient des va-et-vient des calèches transportant des notables en perruques, parfumés et poudrés. La valse des maîtresses à faire rougir les pivoines. L’appartement de ma tante Kousmine se trouvait au premier étage. Son mari était linotypiste, atteint de saturnisme ; il avait mis fin à ses jours à l’âge cinquante ans d’un coup de révolver. Il m’a fallu poser bien des questions pour savoir la vérité sur sa brutale disparition. J’y venais enfant me délecter de liqueur de cassis maison. J’engouffrais les saucisses chaudes entassées sur les pics alors que les adultes parlaient, indifférents. Ma passion, pendant ces heures interminables, se trouvait dans le petit salon. J’arrangeais à ma façon « La Marche Turque », virtuose d’un jour, happée par la masse du piano demi-queue qui sentait l’encaustique. Saoule de musique et de crème de cassis, je sortais heureuse comme un enfant peut l’être de si petites choses. La nuit serait douce; j’étais une artiste.

  Dans les années 70, ce quartier médiéval devait être rasé. Parkings ou immeubles neufs. Fort heureusement après une visite à Rouen, le maire de l’époque, Robert Galley, décida qu’il conserverait lui aussi la vieille ville telle quelle. J’arpente. Les rues bordées de maisons à pans de bois. La tour du boulanger au croisement des deux rues principales. La ruelle des Chats si étroite qu’il suffit d’étendre les bras pour toucher les murs opposés. L’hôtel particulier du Vauluisant, en pierre sèche calcaire, un chef d’œuvre architectural, dont le nom m’envoûtait. Le cinéma L’Alhambra, avec son patchwork d’affiches, maintenant fermé et tagué. Partout des poutres sculptées que l’on découvre dans les hauteurs et les rues pavées glissantes où les pas résonnent. Que fais-je donc ici ?

  Août, comme juillet, sous la pluie. Depuis plusieurs années déjà. Est-ce dû au réchauffement climatique ?  Aux variations enregistrées depuis des millions d’années par notre système solaire à chaque passage dans un bras de la Voie Lactée ?

 Moi qui suis restée là, enfermée à travailler, je m’en moque un peu…

  Les nuages, masses sombres, se lient. Les colères du vent détruisent les tableaux ourlés qu’ils ont construits. La terre mouillée développe des relents de sang séché et de fer humide. Ces fragrances singulières s’exhalent sous les caresses de l’eau.

  Mes racines champenoises avec ses étés brûlants, soleil de plomb des vacances à la campagne, douces rémanences sous mes paupières d’adulte. A fleur de peau. Y en aura-t-il à nouveau ?

  Mes souvenirs d’enfant refont surface comme les poissons prisonniers des longs de filets de traîne.

  Le potager de mamie Valérie était caché par les plants d’asperges folles à côté du puits en bois bancal. L’odeur du carré de fraises ; on mangeait en silence pour ne pas être découvertes, mes amies et moi. Mais le silence ne suffit pas à masquer les larcins des enfants…

  Mon jardin se trouvait derrière un grand sapin, celui d’un Noël glacial ;  le gel brisait nos phalanges. Ses longues branches abritaient la tombe de ma souris Minnie surmontée d’une croix en bois de sureau. Au printemps, des œillets de poètes égayaient les rangées de laitues croquantes, de radis et de fines carottes pas encore dédoublées. Les tamaris délimitaient le potager dans un halo rose et vert. Derrière le grillage, la basse-cour et son coq Marcel. Il sautait sur mes jambes, ses ergots lancés vers moi, lorsque je pénétrais pour récupérer les œufs. Il me terrifiait, il me détestait peut-être aussi. Pour me consoler et me féliciter, mamie préparait un grand bol de riz au chocolat. De quoi retourner affronter à nouveau Marcel pour un autre bol.

  Dans ce village natal je passais tous mes étés. A une quarantaine de kilomètres de Troyes. Le noyer quatre fois centenaire m’accueillait chaque jour. Absorbée, je contemplais le panorama du haut de ma branche. J’étudiais les moindres changements du ciel, des chants d’oiseaux et des couleurs de la terre, des champs, des forêts. L’odeur chaude des blés mûrs m’arrivait par vagues successives. J’y devenais stylite. J’adorais la solitude. Et ne connaissais qu’elle. La maison familiale se trouvait dans un hameau isolé du centre du village. Trois cents habitants en comptant les chats errants, les chiens et les troupeaux de vaches. Grand terrain de jeu qu’un enfant parcourait librement, en toute sécurité.

Ghyslène Robbe

 
      
 Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais
 N°04 - Octobre 2011  
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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 11:26

 

   L’édito de Françoise Danel en Baie de Somme  

   

  Un mois déjà que j’égrène les jours : je dois rédiger l’éditorial de la rentrée et…je repousse à plus tard la tâche. Procrastination, quand tu nous tiens…

  Plage de la Maye ? Mais où se trouve-t-elle, cette satanée plage ? Je circule dans la bourgade côtière à cette heure matutinale à la recherche d’une place de stationnement gratuite tout en évitant les sens interdits qui sont légion et en renonçant à ma trajectoire devant les grilles dressées qui abritent le marché hebdomadaire. Comme je refuse de céder à la pression du GPS et à l’abêtissement généralisé du troupeau des conducteurs, je peste contre moi-même : ah ! si j’étais partie plus tôt, ah ! si je m’étais renseignée plus amplement…et contre l’absence de d’indications précises pour les quidams de passage.

  Les minutes s’écoulent, mon impatience grandit. L’impression confuse de l’inutilité de mon périple  m’envahit. La consultation  du plan de la ville arrête le processus et distille enfin quelque espoir. Je sors du Crotoy à dix heures. La pratique du quart d’heure picard de retard m’ôterait une épine du pied et m’offrirait la possibilité d’arriver avant leur départ. Alors que je me gare, le groupe se met en marche. J’arrive à temps ! A moins d’être   indigène, tout un chacun a eu les pires difficultés à découvrir le point de rendez-vous de cette ballade picardisante qui s’avère truculente.

  Sentiers ombragés : histoire d’oiseaux et de son monarque, le roitelet.

  Sentiers sableux : marche hésitante où chaque grain qui s’insinue dans les souliers retarde chaque pas.

  Végétation dunaire : tamaris, argousier, vipérine, bouillon blanc et onagre, deux merveilleuses plantes aux fleurs jaunes  goûteuses  et délicieusement parfumées. Pause et nouvelle histoire : Adam et Eve au jardin d’Eden avant d’en être chassés.

  A mes pieds, pas de pomme insidieuse et juteuse,

  Pas de péché originel,

  Seulement des feuilles rabougries et des corolles rosées de liseron qui disputent âprement leur présence en milieu hostile


 

 


     

Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais

N°04 - Octobre 2011   

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