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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 08:30
 

Côtelettes or not côtelettes  

   C’était dans les années 50, j’avais 7 ans et ce vendredi soir nous étions tous calfeutrés  dans notre petite habitation car le froid était vif, sauf mon père qui rentrait un peu plus tard et revenait à bicyclette par cette nuit glaciale. A l’époque, les ouvriers étaient payés « à la semaine » et en espèces ; Henri a enfourché son vélo, équipé de sa canadienne et la tête couverte du passe-montagne car il  y a quelques semaines ses oreilles avaient gelé. Il n’a pas suivi ses copains au bar du coin pour la tournée de fin de semaine et circule seul dans le Chemin Noir en pédalant d’arrache pied. Un malfaisant, en affut dans les bosquets lui saute dessus et le frappe brutalement sur le crane, déséquilibré, il commence à chuter mais a la présence d’esprit de prendre son enveloppe de paye dans sa main bien serrée. Il ne reste pas longtemps estourbis et remonte courageusement sur son vélo. Il arrive chez lui avec une heure de retard, mais soulagé d’avoir sauvé son pécule. Moi, la petite, impressionnée par le récit, je reste sans mots et sors acheter les côtelettes de fin de semaine chez le charcutier. Inutile de vous dire qu’elles nous ont paru incomparables car un peu plus, pas de paye, pas de côtelettes !

Francine

 


 
 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

 

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25 mai 2013 6 25 /05 /mai /2013 08:02
 
 

Faits d’hiver (2)


  L’hiver 2013 a fait son apparition un peu tardivement, vers la mi-janvier, après un bel automne qui a traîné en longueur pendant les fêtes de NOËL et du Nouvel AN, nous laissant profiter tout à notre aise d’une douceur très surprenante et aussi très agréable. Mais le froid n’a pas oublié son rendez-vous annuel, il s’est installé brutalement et rapidement avec des chutes de neige ininterrompues qui ont recouvert tout le pays d’un immense manteau neigeux immaculé ; les nuits sont devenues  glaciales, on aurait pu entendre certaines plantes hurler, appeler « au secours », l’eau du petit bassin se glaça sans états d’âmes, les oiseaux avaient fui, disparus au fond des bois dans quelque endroit bien abrité peut-être, mais connus d’eux seuls ! Les cheminées se mirent à flamber, à laisser échapper leurs adorables petits nuages de fumée grise parfumée aux nombreuses et diverses essences de bois qui peuplent nos belles forêts. Le village et la campagne alentour sont devenus un « no man’s land » évoquant le célèbre paradis blanc tristement chanté par Michel Berger… Oui c’était plutôt triste ce silence tout de blanc vêtu, cette immobilité de chaque chose, pas un chat errant, pas un aboiement, pas une plainte d’oiseau malheureux, pas une ombre dans la rue, tous  les volets clos dès les premiers signes du jour finissant, le monde paralysé, la vie en suspens car les routes et les chemins communaux étaient fermés par des congères ; il fallait attendre patiemment, chez soi, au chaud la fin de cette punition collective ! Cela dura bien quelques jours encore avant de pouvoir circuler librement à nouveau, reprendre nos activités abandonnées, nos promenades quotidiennes, nos emplettes variées, nos vies tout simplement !

  Le mois de janvier touche à sa fin, l’épisode neigeux s’achève dans une douceur quasi anormale ; on pense bien sûr « réchauffement climatique », on s’inquiète, que sera ce mois de février ? C’est un mois situé en plein milieu de période hivernale, il a laissé des souvenirs bien glacés, à jamais enfouis  dans nos mémoires d’enfants et que nos cœurs d’adultes ne peuvent oublier ! Que l’hiver suive son petit bonhomme de chemin avec son cortège de pures et enivrantes émotions, il porte en lui toutes  les promesses d’un merveilleux printemps qu’il faudra savoir attendre.

Lucie

 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

 

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24 mai 2013 5 24 /05 /mai /2013 09:15
 
 

Faits d’hiver 

  L’hiver, insidieusement s’est installé dans notre environnement. Si ce n’est le froid qui nous le rappelle, les passants marquent aussi cette saison. Ce sont des tenues vestimentaires qui pour les uns, les engoncent et les font ressembler au «bonhomme Michelin », qui pour les autres, les avantagent par l’élégance de leur manteau associé à des bottes non moins élégantes. Et que dire des coiffes des uns et des autres, c’est un défilé de couleurs chatoyantes qui réchauffent déjà l’air : bonnets tricotés, bonnets en feutre, écharpes industrielles, écharpes faites main déclinées dans des modèles innovants et aussi l’élégance suprême : bonnets, écharpes et gants assortis. C’est un spectacle inédit propre à cette saison.

  Les jours de grand froid la démarche se fait hésitante pour certains qui craignent la rencontre avec une plaque de verglas alors que pour d’autres, notamment les plus jeunes, elle est dynamique, quitte à se retrouver par terre sur les fesses dans une crise de fou-rire avec  les copains. Ces jours là, la communication entre les passants est plus spontanée : le sujet de discussion étant évident : puis chacun continue son chemin, la tête dans les épaules, en hâtant son pas.

  J’imagine ces personnes pressées de retrouver leur chez soi. Elles savourent déjà rien que d’y penser les bons plats français d’hiver qui réchauffent : le pot au feu ; la potée, la choucroute. Puis elles s’allumeront un feu de cheminée et s’offriront une séance de cocooning devant la cheminée en sirotant qui, un vin chaud, qui un chocolat chaud.

Ce sont là les petits plaisirs de l’hiver.


Arlette

  


 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

 

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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 09:23
 
 Boire la tasse à Vichy 

 

  Ces heures qui précédèrent mon départ étaient si singulières, si étranges. Sous le ciel hivernal, elles s’effondraient inexo-rablement sans clarté, fondant comme des couches de crème qui glissent l’une sur l’autre. Seules quelques variations infimes de cette immobilité hivernale semblaient indiquer la progression des heures. Aux abords du plan d’eau du Canada, des dizaines de mouettes s’immobilisaient. Soudain, mues par quelques cris déchirant le voile gris pixellisé de ce jour qui se refusait à prendre la lumière, elles s’envolaient à nouveau, peignant du blanc sur le gris.

Au loin, sur le chemin boueux, mes yeux myopes distinguèrent un groupe de pèlerins qui tanguaient, ils passèrent à mes côtés sans répondre à mon « Bonjour ». Qu’importe, je me sentais déjà  étrangère…  

La route défilait et ces images resurgissaient. Ce lien ténu me permettait de combler un vide vertigineux. Il était tapi là, au fond de mes tripes. Dans quelques heures, je serai à Vichy.

  Je venais de tout quitter. Mes enfants, mon ex, ma ville de Beauvais, ma Picardie natale. Je roulais vers une vie nouvelle, vers l’homme que j’aimais. Un immense sentiment de liberté m’habitait à mesure que la distance s’amenuisait. Se pourrait-il qu’enfin le bonheur soit là, pour moi aussi ?

Cette même luminosité qui me pesait tant, je ne la subissais plus. Je portais la lumière en moi. Chaude et vibrante énergie d’un feu intérieur, c’était si bon.

  Ce moment-là, je l’attendais depuis plus d’une année, en fait, depuis bien plus longtemps que cela. C’était comme sortir d’une tombe, d’un couloir sans fenêtres. Depuis près de vingt ans, j’y vivais aveugle et sourde aux cris de l’intérieur, avec l’incroyable perception que tout avait débuté hier. Quel besoin indétectable m’avait poussée à  plonger dans un tel oubli. J’y avais supporté dignement les violences de mon mari asiatique. Les coups pleuvaient lorsqu’il buvait, ce qui avait débuté à peine deux ans après notre mariage. Période à partir de laquelle l’élégance de l’amour avait disparu. Sans doute était-il brisé dans sa chair depuis son départ du Cambodge. Moi, sa femme, je servais d’exutoire,  bouc émissaire des souffrances de tout un peuple. Soumise et silencieuse victime, mon éducation ne permettait pas d’en comprendre les raisons, celles de mon abdication. Copié-collé d’images familiales sans doute.

  Mais maintenant tout était fini. Fini ! Vous comprenez n’est-ce pas ?

  Il m’attendait. Le nouveau visage de ma vie se dessinait sous les traits de cet homme-là, Michel. Je devais arriver sous peu en voiture, accompagnée par le camion de déménagement. Il fallait tout d’abord que j’installe ma maison. Celle qui me permettrait de recevoir mes quatre enfants, pendant les vacances. Tout était organisé à merveille. Je remplissais chaque seconde avec une telle d’avidité. Que faire d’autre sinon que de rattraper tout ce temps perdu ? Ni les cartons, ni le camion rempli des restes de mon ancienne vie, ni les trois jours qui me séparaient encore de lui n’occasionnaient une gêne quelconque. L’infini s’offrait à moi, sourire aux lèvres, butinant de toutes parts sans que rien ni personne ne m’atteigne.

Il m’avait dit :

« Installe-toi tranquillement et viens me retrouver chez moi dans trois jours ».

  Comme dans un rêve, assommée par tant d’amour, j’avais bêtement répondu :

« Oui ».

  Trois jours, trois heures, trois secondes, trois ans… Ma pendule battait la chamade. Plongée dans les cartons, les meubles, la vaisselle, que sais-je encore, je ne connaissais plus la fatigue et mes nuits étaient si courtes que j’en ignorais presque la faim. Tellement heureuse et pressée de tout installer pour le rejoindre. Elle était belle et grande ma maison, avec un jardin rempli de grève qui recouvrait les allées bordées de buis. Les pelouses dessinaient des courbes régulières encadrées de blanc. Les arbres qui jouxtaient la maison seraient parfaits dès les beaux jours. Ils épanouiraient leur feuillage capiteux afin de protéger notre amour des regards indiscrets.

  Ce troisième jour arriva, si vite, si tard. Je me sentais belle et moche à la fois. Je tremblais comme une enfant en me maquillant. Je faisais tomber presque tout ce que mes mains touchaient. Le trac m’envahit comme une vague scélérate, sans prévenir. Je me garai devant sa maison et parce que nous ne nous étions pas parlé depuis trois jours, j’eus soudain le sentiment de ne plus le connaître. La mise à jour de mon temps venait de s’opérer. Tous les compteurs repartiraient à zéro au moment exact où il ouvrirait la porte, car il devait secrètement me guetter derrière les rideaux ! Sous mes pas les cailloux crissaient au contact de mes semelles et mes talons s’enfonçaient, me faisant tanguer comme une femme saoule. Ivre de bonheur et d’amour.

  Devant la porte, je m’attendais à ce qu’il m’ouvre. Rien. Alors que je sonnais, je commençais à introduire doucement la clé dans la serrure. Je désirais profiter pleinement de mon geste et le surprendre aussi, car il ne m’avait pas entendue. Une fois la porte refermée derrière moi, je l’ai appelé d’une voix claire – Michel…

  En pénétrant dans la cuisine, les persiennes encore fermées laissaient filtrer suffisamment de lumière pour que je puisse voir un corps disloqué sur le sol. C’était Michel, mon Michel qui gisait là, sur le carrelage froid. Aucun cri n’a pu sortir de ma bouche lorsque je constatai qu’il était aussi froid que le sol sur lequel il reposait depuis trois jours. Ces trois jours pendant lesquels je me préparais à vivre enfin heureuse.

Ghislène

 

            

 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

 

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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 09:00
 
 Où es-tu hiver ?

-Où es-tu hiver ?

-Je suis là, je suis là !

Ne sens-tu pas le froid sur tes doigts ?

Ne vois-tu pas cette blancheur sur le toit ?

N'entends-tu pas le crissement de tes pas ?

Ne sens-tu pas cette soupe en approchant de chez toi ?

-Hiver, je te crois, je te crois !

 

Lilou
 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

 

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 09:47

 

 
 Faits d’hiver

J’ai la main gelée
Celle que tu es venu me demander
Enfin décidé
A unir ton cœur à mon cœur brisé

Vers moi tu as glissé
Après avoir longtemps dérapé
Tu as trop piétiné
J’ai trop attendu, le rêve est figé

Je suis un peu givrée
De refuser ce futur partagé
J’ai trop patienté
Trop tard pour s’unir, il a trop neigé

J’ai le cœur glacé
Je t’ai quitté sans rien expliquer
C’est bien trop compliqué
De t’avouer combien je t’ai aimé


Eveline
 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N° 5

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20 mars 2013 3 20 /03 /mars /2013 06:49

 

 
 L’édito de Marc:
 

  Comme je vous l’ai fait savoir, et sans doute avez-vous lu les hommages dans la presse, l’ami Gilles Toulet nous a quitté le 25 janvier. Il était au départ du « Clavier Libre »

  Gilles a eu le temps de voir la sortie de son dernier livre – Un polar « Le prédateur de St Quentin » après « Barthélémy » paru en 2009. Il avait encore sous le coude plusieurs romans et policiers qu’il m’avait fait l’amitié de lire et commenter. Je citerai son magnifique « Le rosier des bergers », « La louve du Vexin » ou encore « Beauvais thriller » sans compter une bonne dizaine de nouvelles tant en français qu’en langue picarde qu’il maniait avec aisance. Il reçut d’ailleurs dans ce domaine plusieurs récompenses. Il écrivait beaucoup ses dernières années comme pour laisser une dernière trace. La photographie fut à une époque un de ses hobbies, là aussi il fut primé. Quelques-unes de ses œuvres ornent encore son couloir.

  Hospitalisé mi-décembre, il pensait encore « se retaper ». Après les fêtes il m’a confié : « A 84 ans, maintenant ou dans six mois, je préfèrerais maintenant » J’ai compris que mon vieux Gilles abandonnait. Le 24 janvier, alors que le personnel se préparait à le transférer en soins intensifs, en me voyant il a relevé la tête. Me reconnaissant, il a levé la main que j’ai prise comme les lutteurs d’un bras de fer. J’ai serré. Il a serré… et laissé retomber sa tête sur le côté. Nous venions de nous dire adieu.

 

   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 09:10

 

  LILI 
  LILI :

Lili voit sa peau plissée, tachetée ;
Espère toutefois garder quelque attrait
Sur sa personne, un charme secret.
Visible de si loin, du coin de la rue,
Inscrit dans sa démarche, une nonchalance…
Esprit incarné dans un corps déchu, ramassé,
Un tantinet égaré mais toujours léger.
Exquise petite Lili, tu gardes sur ta carte
D’identité ta photo des primes années.
Lili, c’est peut-être moi ou toi.
Essence divine dans la matière incarnée.
Suave secret des années écoulées qui ont modelé
Visage, sveltesse, allure et allant,
Intimidés par le temps mais toujours présents.
Encore un peu, Lili et tu sauteras là-bas ;
Ici n’est plus ta place, ton décor, ton désir.
Là-bas, dans l’au-delà, tu reprendras saveur,
Liberté et le temps ne sera plus qu’une épine
Epinglée sur ton passé, ta mémoire et ta vie…
Salut Lili, bienvenue chez les ZZZombies !

Lagune 

 
   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°03 – Novembre  2012

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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 18:01
     Un requin dans la haie 
J’ai eu douze ans au mois de mai 2011.
Mon père est mort l’an dernier. Malade pendant trois longues années, à cause de cette saloperie de crabe. Il est resté alité à la maison, lui qui aime tellement la chasse. Je l’ai vu maigrir à vue d’œil, chaque mois un peu plus, jusqu’à ce que la bête tentaculaire ait finalement gagné. Il avait cinquante-sept ans et moi onze. Depuis l’âge de huit ans, je l’ai entendu vomir chaque jour et chaque nuit. Un cancer du côlon. L’odeur dans l’appart était devenue irrespirable. D’autant que maman n’était plus là depuis longtemps et que moi, question ménage et bonnes odeurs de maman – je n’avais pas encore obtenu mon diplôme ! La mort était tapie dans chaque recoin. Assise là, à l’attendre en jouant aux cartes avec ses nouveaux symptômes. La vieillesse, la maladie, lorsqu’on n’a que huit ans, on ne s’en sépare pas. Pas comme ça, en claquant des doigts.
Je me sens vieille et le poids de mes longs cheveux blonds me pèse. Ils n’ont jamais été coupés et me battent les reins comme autant de coups de fouet infligés par la vie. Ils portent le poids de mon histoire depuis le premier jour.
D’ailleurs, ce corps ne me porte pas comme il le devrait à mon âge. Je suis devenue vieille. Mon dos est voûté et mon regard bas, toujours planté dans le sol, comme pour mieux en scruter les moindres détails à la recherche d’une faille dans laquelle m’engouffrer, me cacher. Pour le rejoindre, papa, qui sait. Ce corps ne m’aide pas. Il affiche bien trop tôt les cassures, les arrondis, les angles creux des vieux. Bien sûr, ma peau est lisse et ferme, mes idées rapides et claires, mes foulées longues et alertes, mon odeur fraîche et sucrée ; mes dents, ma bouche, mon haleine, enfin, tout est neuf – et pourtant la mort me hante chaque jour. Pour certains, elle le fait bien plus tard. Lorsque les « signes » se rapprochent, s’intensifient, qu’elle vous attend, là, demain ou après-demain, alors tout est bon pour essayer de l’oublier. Celle-là, qu’on porte en soi chaque jour depuis la naissance devient alors l’obsédant obstacle à contourner. C’est un cri rauque qui parle aux cellules. Alors, le moteur de toutes les activités les plus frénétiques, que l’on gobe comme des œufs à pleine bouche pour étouffer de vie, se met en marche. Ultime lumière avant la nuit infinie. La nuit froide. Une autre nuit que la nuit sans lune. Voyages, peinture, séduction, baise jusqu’au dernier soubresaut de libido, avides de chaque parcelle – si infime soit-elle, d’une aventure qu’on avait laissée là sur le bord d’un chemin qu’on pensait d’éternité, on s’active ; la peur aux tripes. Un de ceux-là a croisé ma route et j’ai pu scruter, avec mes yeux d’enfant, chaque jour pendant des années ; ce qu’on appelle un vieux, et celui-là, c’était un vieux salaud.
C’était mon grand-père. Il m’a élevée après la mort de son fils. Bien avant ses assauts répétés chaque jour, il avait déjà commencé à me toucher, à mettre sa main sur mon sexe, à jouer avec mon petit corps d’enfant. Pour un gâteau, une sucrerie qu’il cachait au fond de ma culotte en coton. Perfide, lubrique, vicieux, m’attirant comme une mouche avec de l’eau sucrée ! Quoi de plus facile à berner qu’un enfant. Sans passé…
Son corps flaque et ramolli, ses jambes à demi-pliées, sans forme et remplies de varices, son ventre mou et ses couilles pendantes, sa bouche aux dents usées, cassées, jaunies par la clope et la vieillesse, ses lèvres fines et cette horrible langue blanchâtre et grasse comme une huître pleine, son odeur de chair déjà en route vers la décomposition finale, les filaments jaunasses, frisottés et tordus qui lui servaient de cheveux, ce mouvement incertain de la bouche entre le tic et la succion bruyante à chaque fois qu’il mangeait, la lenteur énorme arbitrant chacune de ses pensées, chacun de ses mouvements… Bref, toute cette horreur, j’ai dû la supporter sans broncher sous ses doigts tordus, ses mains crochues d’arthritique, scrutée par ses yeux au contour de néon circulaire, lien maléfique qui m’encerclait chaque soir, au coucher, dans ma petite chambre, dans mon petit lit, sans broncher, un foulard sur la bouche, et ce vieux salaud se frottait sur moi, sans pouvoir bander – heureusement, alors que tous dormaient…..
Que faire, enfant, sinon subir.
Subir.
Subir partout cette différence, qui se lit sur mes traits et dans mon regard modelés par l’humiliation. Ils l’ont perçue bien vite les autres. Cette faiblesse, cette faille, cet abus de silence, comme un gouffre au creux du cœur, béant, qui crie par les yeux, installé sur mon corps de vieille courbée, seule. Alors, tout doucement, au dehors aussi l’enfer se campe autour de moi. Ce n’est plus seulement le vieux salaud qui me taraude l’esprit, ce sont ceux de mon âge. L’animal blessé aimant la cruauté, si facile, si jouissive, si naturelle, archaïque. Le besoin de destruction, de mise à mort s’organise vite, très vite, par capillarité, par contagion. Alors vite, très vite au collège tout comme en primaire, je suis le bouc-émissaire des lâches. Dans la cour, les couloirs, aux chiottes, dans la rue – le soir quand il fait déjà nuit à 16h j’ai peur de rentrer seule… mon cœur ne bat vite que pour moi. La nuit dans mon lit aussi – ils sont là, le vieux qui bande mou et puis eux, tous, qui m’humilient en gueulant de rire dans mes oreilles trop petites. Ça résonne comme dans un hall de gare dans ma tête. Les rires me cisaillent les tympans. Leurs gueules me crèvent les yeux. J’étouffe. Je les retrouve sur Facebook, chaque soir. Les commentaires sur moi se tricotent, telles les mailles d’un pull trop petit pour moi. Ma camisole de folie des Autres…
Ça a pété très fort… très vite. Tout ça, c’est fi-ni, Lucie. Les voisins n’y ont sûrement pas prêté attention. Ils passent leur journée à gueuler. Si c’est pas eux, c’est la télé, à fond. Moi… maintenant… je ne pèse plus que le poids de mon âme.
Ghislène

Ghislène



   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°03 – Novembre  2012

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 09:27
   Souvenirs 
 

 Elle vivait seule dans sa maison vétuste empreinte du souvenir de son défunt mari. Son état de santé, depuis longtemps ne lui permettait plus de sortir de chez elle, mais cependant elle s’intéressait à la vie extérieure, à la ville, par les anecdotes que je lui racontais bien volontiers.

  Elle tenait à ce que son intérieur soit impeccable alors très lentement elle effectuait les gestes quotidiens du ménage ; et lorsque le froid s’installait alors elle se chauffait avec sa cuisinière : c’étaient des tâches supplémentaires que de rentrer un seau de charbon après être sortie vider les cendres de la veille. Ces matins au sol recouvert de gel ou de neige, je tremblais de la retrouver inerte au pied de ses deux marches d’escalier.

  Petit à petit ses jambes n’ont plus daigné répondre à sa volonté et sa nouvelle demeure est devenue son lit avec quelques passages intermittents dans un fauteuil. Cependant, elle ne perdait pas son optimisme, sa curiosité, sa soif d’apprendre encore. Elle me parlait de sa jeunesse, de sa vie.

  Elle lisait beaucoup et l’on commentait ensemble tel livre commun. Sa facilité à solutionner les grilles de mots croisés (de niveau le plus élevé) m’impressionnait. Elle voulait encore rendre service et participait à la réalisation de mes tricots pour bébés ; elle pensait aux anniversaires et me crochetait un napperon.

  Son existence était ponctuée par le passage des auxiliaires de vie ; et là encore elle faisait face, elle avait cette force accumulée avec les épreuves. Elle attendait et se réjouissait des appels téléphoniques quotidiens de ses enfants très éloignés. Elle appréciait toujours mes visites et celles de mon conjoint : elle m’entretenait des émissions de télévision nocturne qu’elle avait suivies, ne dormant que très peu. Je lui racontais aussi la vie extérieure, mon travail, mes loisirs, les spectacles, les concerts, les voyages.

  Pour me faire plaisir, elle s’est attaquée aux grilles de SUDOKU : quel fou rire nous avons eu ! Elle s’est aussi remise à la lecture, elle ne pouvait plus dévorer les livres mais elle les appréciait toujours et s’octroyait des petites séances de lecture.

  Elle s’était inventée des trucs et astuces pour avoir un minimum d’autonomie figée sur son lit ; je la faisais rire en lui disant que j’observais et retenais ses débrouilles afin de m’en servir au cas où.

  Un jour de juin, elle s’en est allée. Elle s’appelait Mathilde, c’était ma voisine.

 

Arlette


   
 

Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°03 – Novembre  2012

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